10
La maison des Gaunt

Pendant les autres cours de potions, cette semaine-là, Harry continua de suivre les instructions du Prince de Sang-Mêlé chaque fois qu’elles différaient de celles de Libatius Borage. Le résultat fut qu’au bout de la quatrième leçon, Slughorn ne tarissait plus d’éloges sur les aptitudes de Harry, affirmant qu’il avait rarement eu un élève aussi doué. En revanche, ni Ron ni Hermione n’étaient ravis. Harry leur avait proposé de partager son livre mais Ron avait beaucoup plus de difficultés que lui à déchiffrer les notes manuscrites et ne pouvait sans cesse lui demander de les lire à haute voix, sous peine d’éveiller les soupçons. Hermione, pour sa part, continuait résolument de s’en tenir à ce qu’elle appelait les « instructions officielles », ce qui ne faisait qu’aggraver sa mauvaise humeur car elles donnaient de moins bons résultats que celles du Prince.

Harry se demandait vaguement qui avait été le Prince de Sang-Mêlé. Ils avaient une telle masse de devoirs qu’il ne trouvait pas le temps de lire en entier son exemplaire du Manuel avancé de préparation des potions, mais il l’avait suffisamment feuilleté pour constater qu’il n’existait quasiment pas de pages sur lesquelles le Prince n’ait pas ajouté de notes, dont certaines ne concernaient pas seulement le mélange des potions. Ici et là figuraient en effet des formules qui ressemblaient à des sortilèges inventés par le prince lui-même.

— Lui-même ou elle-même, dit Hermione d’un ton irrité en entendant Harry en montrer quelques exemples à Ron.

C’était le samedi soir, dans la salle commune.

— Il se peut très bien qu’il s’agisse d’une fille. Son écriture est plus féminine que masculine.

— Il s’appelait le Prince de Sang-Mêlé, objecta Harry. Tu connais beaucoup de filles qui sont princes ?

Hermione ne sut que répondre. Elle se renfrogna et reprit d’un geste brusque sa dissertation sur « Les principes de rematérialisation » que Ron essayait de lire à l’envers.

Harry consulta sa montre et rangea précipitamment dans son sac le vieil exemplaire du Manuel avancé de préparation des potions.

— Il est huit heures moins cinq. Il faut que j’y aille si je ne veux pas être en retard chez Dumbledore.

 Ooooh ! s’exclama Hermione en relevant la tête. Bonne chance ! On va t’attendre, on veut savoir ce qu’il te donne comme cours !

— J’espère que ça se passera bien, dit Ron, et tous deux regardèrent Harry sortir par l’ouverture du portrait.

Harry parcourut des couloirs déserts à cette heure, mais il dut quand même se cacher très vite derrière une statue lorsqu’il vit apparaître le professeur Trelawney à l’angle d’un mur. Elle marmonnait toute seule et battait un jeu de cartes crasseuses qu’elle examinait en marchant.

— Deux de pique : conflit, murmura-t-elle, en arrivant devant l’endroit où Harry, accroupi, s’était réfugié. Sept de pique : mauvais augure. Dix de pique : violence. Valet de pique : un jeune homme brun, peut-être un peu troublé, qui n’aime pas la consultante…

Elle s’arrêta net, juste de l’autre côté de la statue qui dissimulait Harry.

— Non, ça ne se peut pas, dit-elle, agacée, et Harry l’entendit battre à nouveau les cartes d’un geste vigoureux tandis qu’elle repartait en laissant derrière elle une odeur de xérès bon marché.

Il attendit jusqu’à ce qu’il soit sûr qu’elle ait disparu puis se rendit en hâte dans le couloir du septième étage où une gargouille solitaire se tenait devant le mur.

— Suçacides, dit Harry.

La gargouille fit un pas de côté et le mur derrière elle s’ouvrit, laissant voir un escalier mobile en colimaçon. Harry monta sur la première marche et l’escalier tourna sur lui-même, l’amenant en douceur jusqu’à la porte au heurtoir de cuivre qui donnait accès au bureau de Dumbledore.

Harry frappa.

— Entrez, répondit la voix de Dumbledore.

— Bonsoir, monsieur, dit Harry en s’avançant dans le bureau du directeur.

— Ah, bonsoir, Harry. Assieds-toi, proposa Dumbledore avec un sourire. J’espère que ta première semaine de rentrée s’est bien passée ?

— Oui, merci, monsieur, dit Harry.

— Tu n’as pas traîné, déjà une retenue à ton actif !

— Heu…, commença Harry, mal à l’aise, mais Dumbledore ne paraissait pas trop sévère.

— Je me suis arrangé avec le professeur Rogue pour qu’elle soit reportée à samedi prochain.

— Très bien, dit Harry, qui avait des choses beaucoup plus préoccupantes en tête que la retenue de Rogue.

Il regardait subrepticement de tous côtés, à la recherche d’un indice qui puisse indiquer ce que Dumbledore comptait faire avec lui ce soir. La pièce circulaire avait le même aspect que d’habitude : les fragiles instruments en argent étaient à leur place sur les tables aux pieds effilés, ronronnant et soufflant des volutes de fumée ; les portraits des anciens directeurs et directrices somnolaient dans leurs cadres ; et Fumseck, le magnifique phénix de Dumbledore, était posé sur son perchoir derrière la porte, ses yeux étincelants observant Harry avec intérêt. Apparemment, Dumbledore n’avait libéré aucun espace pour s’entraîner à des sortilèges de combat.

— Alors, Harry, dit Dumbledore d’un ton sérieux, je suis sûr que tu t’es demandé ce que j’avais préparé pour toi au cours de ces… disons, leçons, faute d’un meilleur terme ?

— Oui, monsieur.

— Eh bien, j’ai estimé qu’il était temps, maintenant que tu sais ce qui a poussé Lord Voldemort à essayer de te tuer il y a quinze ans, de te donner certaines informations.

Il y eut un silence.

— Vous m’aviez dit, à la fin de l’année dernière, que vous alliez tout m’expliquer, déclara Harry – il avait du mal à dissimuler un ton accusateur dans sa voix –, monsieur, ajouta-t-il.

— C’est ce qui s’est passé, répondit calmement Dumbledore, je t’ai expliqué tout ce que je savais. Mais à partir de maintenant, nous allons quitter la solidité des faits pour cheminer ensemble à travers les marécages obscurs de la mémoire et nous aventurer dans le maquis des hypothèses les plus échevelées. Dorénavant, Harry, il se peut que je me trompe autant que Humphrey Belcher qui croyait que le moment était venu de fabriquer des chaudrons en fromage.

— Vous pensez pourtant avoir raison ? demanda Harry.

— Bien entendu, mais je t’ai déjà administré la preuve qu’il m’arrive de me tromper comme n’importe qui d’autre. En fait, comme je suis – pardonne-moi – relativement plus intelligent que la plupart des hommes, mes erreurs sont en proportion beaucoup plus considérables.

— Monsieur, risqua Harry, ce que vous allez me révéler est-il en rapport avec la prophétie ? Est-ce que ça va m’aider à… survivre ?

— C’est en effet étroitement lié à la prophétie, répondit Dumbledore d’un ton aussi dégagé que si Harry lui avait demandé quel temps il ferait demain, et je souhaite sans nul doute que cela t’aide à survivre.

Dumbledore se leva et contourna le bureau. Il passa devant Harry qui le suivit avidement des yeux et le regarda se pencher sur une armoire, à côté de la porte. Lorsque Dumbledore se redressa, il tenait entre les mains une bassine de pierre familière, peu profonde et gravée d’étranges signes sur les bords. Il posa la Pensine sur le bureau, sous les yeux de Harry.

— Tu as l’air inquiet.

Harry éprouva en effet une certaine appréhension en observant la Pensine. Ses expériences précédentes avec cet étrange objet, qui conservait et révélait les souvenirs et les pensées, n’avaient pas toujours été très heureuses. La dernière fois qu’il s’était mêlé de découvrir son contenu, il avait vu beaucoup plus de choses qu’il ne l’aurait souhaité. Mais Dumbledore souriait.

— Ce soir, tu vas entrer dans la Pensine avec moi… et contrairement à l’habitude, avec ma permission.

— Où allons-nous, monsieur ?

— Faire un petit voyage dans la mémoire de Bob Ogden, répondit Dumbledore en prenant dans sa poche un flacon de cristal rempli d’une substance argentée qui tournoyait sur elle-même.

— Qui était Bob Ogden ?

— Un employé du Département de la justice magique, expliqua Dumbledore. Il est mort il y a quelque temps mais pas avant que j’aie réussi à le retrouver et à le convaincre de me confier ces souvenirs. Nous allons l’accompagner lors d’une visite qu’il a faite dans l’exercice de ses fonctions. Si tu veux bien te lever, Harry…

Mais Dumbledore eut du mal à ôter le bouchon du flacon de cristal : sa main blessée paraissait raide et douloureuse.

— Je… je peux vous aider, monsieur ?

— Inutile, Harry.

Dumbledore pointa sa baguette magique sur le flacon et le bouchon sauta tout seul.

— Monsieur… Comment vous êtes-vous blessé à la main ? demanda à nouveau Harry en regardant les doigts noircis avec un mélange de répulsion et de pitié.

— Ce n’est pas le moment de te raconter cette histoire, Harry. Pas encore. Nous avons rendez-vous avec Bob Ogden.

Dumbledore versa le contenu argenté du flacon dans la Pensine. La substance scintillante, ni liquide ni gazeuse, tournoya au fond du récipient.

— Après toi, dit Dumbledore en montrant d’un geste la bassine de pierre.

Harry se pencha en avant, prit une profonde inspiration, et plongea la tête dans les volutes argentées. Il sentit alors ses pieds quitter le sol, il tomba, tomba, dans une obscurité tourbillonnante, puis se retrouva soudain sous un soleil éclatant qui le fit cligner des yeux. Avant qu’il ait eu le temps de s’habituer à la lumière, Dumbledore atterrit à côté de lui.

Ils étaient arrivés sur une route de campagne bordée de hautes haies touffues, sous un ciel d’été d’un bleu de myosotis étincelant. À trois mètres devant eux se tenait un petit homme replet portant des lunettes extraordinairement épaisses qui réduisaient ses yeux à deux petits points semblables à des grains de beauté. Il était en train de lire un panneau indicateur en bois, planté dans les ronces, sur le côté gauche de la route. Harry sut tout de suite que c’était Ogden. Il n’y avait personne d’autre aux alentours et l’homme arborait un étrange assortiment vestimentaire fréquent chez les sorciers inexpérimentés qui veulent ressembler à des Moldus : dans le cas présent, il s’agissait d’une redingote et de guêtres passées par-dessus un maillot de bain une pièce à rayures. Harry avait à peine eu le temps de remarquer son étrange apparence qu’Ogden était déjà parti d’un bon pas le long de la route.

Dumbledore et Harry le suivirent. Au passage, Harry regarda le panneau de bois. Il était composé de deux flèches. L’une, pointée dans la direction d’où ils venaient, indiquait : « Great Hangleton, huit kilomètres », l’autre, dans le sens où allait Ogden, signalait : « Little Hangleton, un kilomètre et demi ».

Ils parcoururent une courte distance sans rien voir d’autre que les haies, l’immense ciel bleu au-dessus de leurs têtes et la silhouette qui filait devant eux, vêtue de sa redingote. Puis la route décrivit une courbe vers la gauche et descendit soudain en pente raide au flanc d’une colline, leur offrant une vue inattendue sur toute une vallée qui s’étendait sous leurs yeux. Harry aperçut un village, Little Hangleton, sans aucun doute, niché entre deux collines escarpées, son église et son cimetière clairement visibles. De l’autre côté de la vallée, sur la colline opposée, on voyait un élégant manoir entouré d’une vaste pelouse verte et soyeuse.

La pente raide avait obligé Ogden, malgré lui, à accélérer l’allure. Dumbledore allongea le pas et Harry dut marcher plus vite pour rester à sa hauteur. Il pensa que Little Hangleton constituait leur destination finale et se demanda, comme il l’avait fait la nuit où ils étaient allés trouver Slughorn, pourquoi ils devaient partir de si loin pour s’y rendre. Mais il comprit bientôt qu’il s’était trompé en croyant prendre la direction du village. Car la route tourna brusquement vers la droite et lorsqu’ils eurent passé la courbe, ils virent le bas de la redingote d’Ogden disparaître dans une ouverture de la haie.

Dumbledore et Harry le suivirent sur un étroit chemin de terre bordé de haies plus hautes et plus sauvages que celles qu’ils venaient de quitter. Le sentier, sinueux, caillouteux, parsemé de nids-de-poule, descendait lui aussi à flanc de colline et semblait mener à un bosquet d’arbres sombres, un peu plus bas. Le chemin, en effet, s’ouvrit bientôt sur le petit bois. Dumbledore et Harry attendirent derrière Ogden qui s’était arrêté et avait sorti sa baguette magique.

En dépit du ciel sans nuages, les vieux arbres projetaient des ombres noires, froides et profondes, et il se passa quelques secondes avant que Harry ne distingue une maison à moitié cachée dans l’enchevêtrement de la végétation. L’endroit lui parut très étrange pour y construire une habitation ou tout au moins il trouva bizarre qu’on ait laissé pousser à proximité des arbres qui empêchaient la lumière de passer et bloquaient la vue sur la vallée. Il se demanda si quelqu’un habitait ici. Les murs étaient couverts de mousse et des tuiles étaient tombées du toit en si grand nombre qu’on voyait la charpente par endroits. Des orties avaient poussé tout autour, leurs extrémités atteignant les fenêtres, minuscules et couvertes de crasse. Au moment où il en avait conclu que personne ne pouvait vivre dans un tel lieu, une fenêtre s’ouvrit avec fracas et un filet de vapeur ou de fumée s’en échappa, comme si quelqu’un, à l’intérieur, faisait la cuisine.

Ogden s’avança sans bruit et prudemment, d’après ce que Harry pouvait voir. Lorsque les ombres des arbres le recouvrirent, il s’arrêta à nouveau, observant la porte d’entrée sur laquelle était cloué un serpent mort.

Il y eut un bruissement, un craquement, et un homme vêtu de haillons tomba d’un arbre proche en atterrissant juste devant Ogden. Celui-ci fit un bond en arrière si brusque qu’il marcha sur les basques de sa redingote et trébucha.

— Vous n’êtes pas le bienvenu.

L’homme qui se tenait devant eux avait des cheveux épais et broussailleux, si maculés de saleté qu’on n’arrivait plus à en distinguer la couleur. Il lui manquait plusieurs dents et ses petits yeux sombres regardaient dans des directions opposées. Il aurait pu paraître comique mais ce n’était pas le cas. L’effet général était plutôt effrayant et Harry comprenait très bien qu’Ogden recule encore de plusieurs pas avant de s’adresser à lui.

— Heu… bonjour. Je viens de la part du ministère de la Magie…

— Vous n’êtes pas le bienvenu.

— Heu… je suis désolé… je ne comprends pas ce que vous dites, déclara Ogden, mal à l’aise.

Harry trouva qu’Ogden avait l’esprit singulièrement lent. Il pensait au contraire que l’homme avait été très clair, d’autant plus qu’il brandissait d’une main une baguette magique et de l’autre un petit couteau à la lame ensanglantée.

— Toi, tu le comprends, j’en suis sûr, Harry ? dit Dumbledore à voix basse.

— Oui, bien sûr, répondit Harry, légèrement perplexe. Pourquoi est-ce qu’Ogden…

Mais lorsque son regard se posa à nouveau sur le serpent mort cloué à la porte, tout devint clair.

— Il parle Fourchelang ?

— En effet, dit Dumbledore qui hocha la tête en souriant.

L’homme vêtu de haillons s’avançait à présent sur Ogden, sa baguette magique et son couteau toujours menaçants.

— Écoutez…, commença Ogden, mais il était trop tard.

Il y eut un grand bang ! et Ogden se retrouva par terre, se tenant le nez à deux mains tandis qu’une horrible substance visqueuse et jaunâtre s’écoulait entre ses doigts.

— Morfin ! lança une voix sonore.

Un homme d’un certain âge s’était précipité hors de la maison, claquant la porte derrière lui. Sous le choc, le serpent mort se balança pitoyablement. Le nouveau venu était plus petit et bizarrement proportionné. Il avait des épaules très larges et des bras trop longs, de petits yeux bruns et brillants, des cheveux courts et drus et un visage ridé qui lui donnaient l’air d’un vieux singe autoritaire. Il s’arrêta à côté de l’homme au couteau qui gloussait d’un petit rire aigu en voyant Ogden par terre.

— Le ministère, c’est ça ? dit l’homme âgé, le regard fixé sur Ogden.

— Exact ! répondit Ogden avec colère en s’épongeant le visage. Et vous, vous êtes Mr Gaunt, sans doute ?

— Tout juste, confirma Gaunt. Il vous a eu en plein dans la figure, pas vrai ?

— En effet ! répliqua sèchement Ogden.

 Z’auriez pu nous prévenir, non ? grogna Gaunt d’un ton hargneux. C’est une propriété privée, ici. Faut pas croire qu’on peut entrer comme on veut. Mon fils sait se défendre.

— Se défendre contre quoi ? demanda Ogden en se relevant péniblement.

— Les fouineurs, les casse-pieds, les Moldus, la racaille.

Ogden pointa sa propre baguette sur son nez d’où une sorte de pus jaune s’écoulait toujours en abondance et le flot s’arrêta aussitôt. Mr Gaunt parla à Morfin du coin des lèvres :

— Retourne dans la maison. Ne discute pas.

Maintenant qu’il était prévenu, Harry reconnut le Fourchelang. Tout en comprenant ce qui se disait, il distinguait ce sifflement bizarre qu’Ogden entendait sans en saisir le sens. Morfin parut sur le point de désobéir, mais lorsque son père lui lança un regard menaçant, il changea d’avis et s’éloigna lentement vers le cottage, d’une étrange démarche chaloupée. Il claqua la porte derrière lui et à nouveau, le serpent se balança tristement.

— C’est votre fils que je suis venu voir, Mr Gaunt, dit Ogden qui essuyait de sa redingote les dernières traces de pus. Il s’appelle Morfin, n’est-ce pas ?

— Oui, Morfin, c’est bien lui, répondit le vieil homme avec indifférence. Vous êtes de sang pur ? demanda-t-il, soudain agressif.

— La question n’est pas là, répliqua froidement Ogden, et Harry en éprouva pour lui un plus grand respect.

De toute évidence, Gaunt ne partageait pas ce sentiment. Il fixa Ogden en plissant les yeux et marmonna, d’un ton qui se voulait nettement offensant :

— Maintenant que j’y pense, j’en ai vu qui avaient la même tête que vous, au village.

— Ça ne m’étonne pas, ils ont dû croiser votre fils, répondit Ogden. Mais peut-être pourrions-nous poursuivre cette conversation à l’intérieur ?

— À l’intérieur ?

— Oui, Mr Gaunt. Je vous ai déjà dit que j’étais venu pour Morfin. Nous avons envoyé un hibou…

— Je n’ai pas besoin de hiboux, trancha Gaunt. Je n’ouvre pas les lettres.

— Dans ce cas, vous ne pouvez vous plaindre qu’on ne vous ait pas averti de ma visite, lança Ogden d’un ton acerbe. Je suis venu à la suite d’une grave violation des lois de la sorcellerie qui a eu lieu ici, aux premières heures de la matinée…

— D’accord, d’accord, d’accord ! rugit Gaunt. Entrez donc dans cette fichue baraque et grand bien vous fasse !

Apparemment, la maison comportait trois pièces minuscules. Deux portes étaient aménagées dans la pièce principale qui servait à la fois de cuisine et de living-room. Morfin, assis dans un fauteuil miteux, à côté d’un feu qui fumait dans la cheminée, tordait entre ses doigts épais une vipère vivante à laquelle il susurrait une chanson en Fourchelang :

 

Siffle, siffle, petit serpent,
Glisse, glisse
silencieus’ment
Et avec Morfin sois très doux
Sinon, à la porte il te cloue.

 

Harry entendit un bruissement, du côté de la fenêtre ouverte, et vit qu’il y avait quelqu’un d’autre dans la pièce, une jeune fille dont la robe grise en lambeaux avait exactement la même couleur que la pierre sale du mur, derrière elle. Elle se tenait debout devant une marmite fumante posée sur un fourneau noir et crasseux et cherchait quelque chose sur une étagère encombrée de casseroles répugnantes. Elle avait des cheveux raides, ternes, et un visage banal au teint pâle et aux traits lourds. Ses yeux, comme ceux de son frère, étaient affectés d’un strabisme divergent. Elle paraissait un peu plus propre que les deux hommes mais jamais Harry n’avait vu quelqu’un qui eût un tel air de soumission.

— Merope, ma fille, dit Gaunt de mauvaise grâce, en voyant Ogden lui jeter un regard interrogateur.

— Bonjour, dit Ogden.

Sans répondre, elle lança un coup d’œil apeuré à son père, puis tourna le dos à la pièce en continuant de remuer des marmites et des casseroles sur l’étagère du fond.

— Mr Gaunt, reprit Ogden, venons-en directement à la question qui nous occupe : nous avons des raisons de croire que votre fils Morfin a fait usage de magie devant un Moldu, la nuit dernière.

Il y eut un grand bruit métallique. Merope avait laissé tomber une des marmites.

— Ramasse-la ! lui cria Gaunt. C’est ça, traîne-toi par terre comme un sale Moldu ! Et ta baguette, elle te sert à quoi, espèce de bonne à rien, sac à fumier ?

— Mr Gaunt, s’il vous plaît ! protesta Ogden, choqué.

Merope, qui avait déjà ramassé la marmite, devint écarlate, les joues marbrées de plaques rouges, et la marmite lui échappa à nouveau des mains. D’un geste tremblant, elle sortit sa baguette magique de sa poche, la pointa et marmonna précipitamment une formule inaudible qui envoya la marmite à l’autre bout de la pièce où elle s’écrasa contre le mur opposé et se cassa en deux.

Morfin gloussa d’un rire de dément.

— Répare-la, espèce de grosse empotée ! hurla Gaunt. Allez, vite !

Merope traversa la pièce d’un pas trébuchant mais, avant qu’elle ait eu le temps de lever sa baguette, Ogden saisit la sienne et dit d’un ton ferme :

 Reparo.

Pendant un moment, Gaunt parut sur le point de se déchaîner contre Ogden mais il se ravisa et s’adressa plutôt à sa fille en lui lançant d’un ton moqueur :

— Une chance que le gentil monsieur du ministère soit là, pas vrai ? Peut-être qu’il va me débarrasser de toi, peut-être que ça ne le dérange pas, lui, les sales Cracmols…

Sans regarder personne ni remercier Ogden, Merope ramassa la marmite et alla la remettre sur l’étagère, les mains tremblantes. Puis elle resta là, immobile, le dos au mur, entre la fenêtre aux vitres maculées et le fourneau, comme si elle n’avait eu d’autre désir que de se fondre dans la pierre et de disparaître.

— Mr Gaunt, reprit Ogden, comme je l’ai dit, la raison de ma visite…

— Pas besoin de me le répéter, j’ai entendu ! coupa Gaunt. Et alors ? Ce Moldu a eu ce qu’il méritait – qu’est-ce que ça peut faire ?

— Morfin a violé la loi des sorciers, répliqua Ogden d’un air sévère.

— Morfin a violé la loi des sorciers, répéta Gaunt en imitant la voix d’Ogden, d’un ton pompeux et monocorde.

À nouveau, Morfin éclata d’un petit rire aigu.

— Il a donné une leçon à un affreux Moldu, et c’est ça qui est illégal ?

— J’ai bien peur que oui, répondit Ogden.

Il tira d’une poche intérieure un petit rouleau de parchemin qu’il déroula.

— C’est quoi, ça, une condamnation ? lança Gaunt, élevant la voix avec colère.

— Il s’agit d’une convocation au ministère pour une audience…

— Convocation ? Convocation ? Vous vous prenez pour qui ? Vous croyez que vous allez pouvoir convoquer mon fils où bon vous semble ?

— Je suis le chef de la Brigade de police magique, déclara Ogden.

— Et vous pensez qu’on est des rien du tout, pas vrai ? s’écria Gaunt qui s’avançait à présent vers Ogden en pointant sur sa poitrine un index à l’ongle jaunâtre. Des rien du tout qui vont arriver en courant quand le ministère leur en donne l’ordre ? Vous savez à qui vous parlez, espèce de sale petit Sang-de-Bourbe ? Hein ? Vous le savez ?

— J’avais l’impression de parler à Mr Gaunt, répondit Ogden, méfiant mais ferme.

— Exactement ! rugit Gaunt.

Pendant un instant, Harry crut que Gaunt faisait un geste obscène de la main mais en réalité, il montrait à Ogden une bague très laide, ornée d’une pierre noire, qu’il portait au médius et qu’il agita sous ses yeux.

— Vous voyez ça ? Vous le voyez ? Et vous savez ce que c’est ? Vous savez d’où ça vient ? Des siècles qu’elle est dans la famille, parce que nous existons depuis des siècles, figurez-vous, et il n’y a jamais eu que du sang pur parmi nous ! Vous savez combien on m’en a offert, avec les armoiries des Peverell gravées sur la pierre ?

— Je n’en ai aucune idée, répondit Ogden qui cligna des yeux en voyant la bague s’approcher à deux centimètres de son nez, et ce n’est pas du tout le sujet, Mr Gaunt. Votre fils s’est rendu coupable de…

Avec un hurlement de rage, Gaunt se précipita sur sa fille. Pendant une fraction de seconde, Harry pensa qu’il allait l’étrangler quand il le vit porter ses mains à la gorge de la jeune femme. Un instant plus tard, il la traînait devant Ogden en la tenant par une chaîne d’or qu’elle portait autour du cou.

— Vous voyez ça ? beugla-t-il.

Il secoua un lourd médaillon d’or sous les yeux d’Ogden tandis que Merope hoquetait, à moitié étouffée.

— Je le vois très bien, très bien ! répondit précipitamment Ogden.

— C’était celui de Serpentard ! s’écria Gaunt. Salazar Serpentard ! Nous sommes ses derniers descendants encore en vie. Qu’est-ce que vous en dites, hein ?

— Mr Gaunt, votre fille ! s’exclama Ogden, inquiet, mais Gaunt avait déjà lâché Merope qui retourna dans son coin d’un pas vacillant en se massant le cou, la respiration haletante.

— Alors ! dit Gaunt d’un ton triomphal comme s’il venait de parvenir à la conclusion irréfutable d’une argumentation complexe. Ne venez pas nous parler comme si nous étions une tache de boue sur vos chaussures ! Des générations de sorciers au sang pur, tous sans exception – je suis sûr que vous, vous ne pouvez pas en dire autant !

Et il cracha par terre, aux pieds d’Ogden. Morfin gloussa à nouveau de rire. Merope, recroquevillée près de la fenêtre, la tête basse, le visage caché par ses cheveux raides, ne prononça pas un mot.

— Mr Gaunt, s’obstina Ogden, j’ai bien peur que ni vos ancêtres, ni les miens aient quoi que ce soit à voir avec l’affaire dont nous parlons. Je suis venu ici à cause de Morfin, Morfin et le Moldu qu’il a accosté tard dans la nuit. Selon nos informations – il jeta un coup d’œil à son rouleau de parchemin –, il apparaît que Morfin a lancé au Moldu en question un sort ou un maléfice qui a provoqué une violente et douloureuse crise d’urticaire.

Morfin pouffa de rire.

— Tais-toi, mon garçon ! gronda Gaunt en Fourchelang, et Morfin redevint silencieux.

— Et alors, même si c’est vrai ? lança Gaunt sur un ton de défi. J’imagine que vous lui avez guéri sa sale tête de Moldu et qu’en plus, vous lui avez arrangé la mémoire…

— Ce n’est pas vraiment le sujet, Mr Gaunt, répliqua Ogden. Il s’agissait là d’une attaque injustifiée sur un Moldu sans défense…

— Ah, ah, dès que vous êtes arrivé, j’ai tout de suite su que vous étiez un amateur de Moldus, ironisa Gaunt qui cracha à nouveau par terre.

— Cette discussion ne nous mène nulle part, trancha Ogden d’un ton ferme. Il est clair, d’après l’attitude de votre fils, qu’il n’éprouve aucun remords pour ses actions.

Il jeta à nouveau un coup d’œil à son rouleau de parchemin.

— Morfin devra donc comparaître en audience le 14 septembre prochain pour usage de magie devant un Moldu et mauvais traitement infligé à ce même Mol…

Ogden s’interrompit. Par la fenêtre ouverte, on entendait des chevaux approcher dans un martèlement de sabots, accompagné d’éclats de voix et de rires. Apparemment, le chemin sinueux qui menait au village passait tout près du bosquet d’arbres où se trouvait la maison. Gaunt se figea, l’oreille aux aguets, les yeux écarquillés. Morfin émit un sifflement et se tourna vers l’endroit d’où provenaient les bruits, le regard carnassier. Merope releva la tête. Harry vit qu’elle avait le teint blême.

— Mon Dieu, quelle horreur ! s’exclama une jeune fille, dont la voix, à travers la fenêtre, paraissait aussi claire que si elle s’était trouvée avec eux dans la pièce. Ton père n’aurait pas pu faire raser ce taudis, Tom ?

— Il n’est pas à nous, répondit la voix d’un jeune homme. Tout ce qui est situé de l’autre côté de la vallée nous appartient mais ce cottage est la propriété d’un vieux miséreux du nom de Gaunt qui habite là avec ses enfants. Le fils est complètement fou, tu devrais entendre les histoires qu’on raconte sur lui au village…

La jeune fille éclata de rire. Le cliquetis métallique des sabots augmenta d’intensité. Morfin esquissa un geste pour se lever de son fauteuil.

— Reste assis, lui ordonna son père en Fourchelang, le ton menaçant.

— Tom, reprit la voix de la jeune fille, à présent si proche qu’ils devaient se trouver juste à côté de la maison. Je me trompe peut-être, mais j’ai l’impression que quelqu’un a cloué un serpent sur la porte.

— Grand Dieu, tu as raison ! répondit la voix d’homme. C’est sûrement le fils, je te l’avais dit qu’il était dérangé. Ne regarde pas, Cecilia chérie.

Le martèlement des sabots s’éloigna.

— Chérie, murmura Morfin en Fourchelang, les yeux tournés vers sa sœur. Il l’a appelée « chérie ». Donc, il ne voudrait pas de toi, de toute façon.

Merope était si pâle que Harry se demanda si elle n’allait pas s’évanouir.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda sèchement Gaunt, également en Fourchelang, regardant alternativement son fils et sa fille. Qu’est-ce que tu as dit, Morfin ?

— Elle aime bien regarder ce Moldu, répondit Morfin, en fixant d’un air méchant sa sœur à présent terrifiée. Toujours dans le jardin quand il passe, à l’épier à travers la haie. Et la nuit dernière…

Merope hocha la tête, le visage implorant, mais Morfin poursuivit, impitoyable :

— Elle est restée près de la fenêtre pour attendre de le voir passer quand il rentrerait chez lui, pas vrai ?

— Rester près de la fenêtre pour voir passer un Moldu ? dit Gaunt à voix basse.

Les trois Gaunt semblaient avoir oublié Ogden qui eut l’air à la fois déconcerté et irrité par ce nouvel échange de sifflements et de crissements incompréhensibles.

— C’est vrai ? demanda Gaunt d’une voix assassine en avançant d’un pas vers sa fille terrorisée. Ma propre fille, une descendante au sang pur de Salazar Serpentard – courant après un répugnant Moldu aux veines souillées ?

Merope hocha frénétiquement la tête, se plaquant contre le mur, visiblement incapable de parler.

— Mais j’ai réussi à l’avoir, père ! gloussa Morfin. Je l’ai surpris au moment où il passait et il est devenu beaucoup moins séduisant avec des boutons partout, pas vrai, Merope ?

— Immonde petite Cracmolle, ignoble traîtresse à ton sang ! rugit Gaunt, perdant tout contrôle, les mains serrées autour du cou de sa fille.

— Non ! s’exclamèrent Harry et Ogden d’une même voix.

Ogden leva sa baguette et s’écria :

 Lashlabask !

Gaunt fut projeté en arrière, loin de sa fille. Il trébucha contre une chaise et tomba de tout son long sur le dos. Avec un hurlement de rage, Morfin bondit de son fauteuil et se rua sur Ogden, brandissant son couteau ensanglanté et lançant des maléfices à tort et à travers avec sa baguette.

Ogden prit la fuite. Dumbledore fit signe qu’il valait mieux le suivre et Harry obéit, les hurlements de Merope résonnant à ses oreilles.

Ogden fila le long du sentier, se protégeant la tête de ses bras, et surgit sur la route où il se cogna contre un cheval alezan monté par un beau jeune homme brun, accompagné d’une jolie jeune fille sur un cheval gris. Tous deux éclatèrent de rire en le voyant rebondir sur le flanc du cheval et repartir à toutes jambes, les pans de sa redingote voltigeant derrière lui, couvert de poussière de la tête aux pieds, courant comme un dératé.

— Je crois que ça suffira, Harry, dit Dumbledore.

Il le prit par le bras et le tira vers lui. Un instant plus tard, ils s’élevèrent dans l’obscurité, en état d’apesanteur, puis atterrirent bien plantés sur leurs pieds dans le bureau de Dumbledore plongé à présent dans la pénombre du crépuscule.

— Qu’est-il arrivé à la fille du cottage ? demanda aussitôt Harry pendant que Dumbledore allumait quelques lampes d’un coup de baguette magique. Comment s’appelait-elle ? Merope ?

— Oh, elle a survécu, répondit Dumbledore qui s’était rassis derrière son bureau en invitant Harry à l’imiter. Ogden est retourné au ministère en transplanant et il est revenu un quart d’heure plus tard avec des renforts. Morfin et son père ont essayé de résister mais tous deux ont fini par s’incliner. Ils ont été emmenés et jugés coupables par le Magenmagot. Morfin, qui avait déjà d’autres attaques de Moldus à son actif, a été condamné à passer trois ans à Azkaban. Quant à Elvis Marvolo Gaunt, qui avait blessé plusieurs employés du ministère en plus d’Ogden, il a écopé de six mois de prison.

— Elvis ? répéta Harry, l’air songeur.

— En effet, dit Dumbledore avec un sourire approbateur. Je suis content de voir que rien ne t’échappe.

— Ce vieil homme était donc…

— Le grand-père de Voldemort, oui, acheva Dumbledore. Elvis – qu’on appelait généralement par son deuxième prénom, Marvolo –, son fils Morfin et sa fille Merope étaient les derniers des Gaunt, une très ancienne famille de sorciers connue pour une certaine disposition à l’instabilité et à la violence qui s’était développée au cours des générations en raison d’une fâcheuse habitude de se marier entre cousins. Un manque de discernement associé à un goût excessif de la grandeur ont fait que l’or de la famille a été dilapidé bien avant la naissance de Marvolo. Lui-même, comme tu as pu le constater, vivait dans une misère sordide. Il avait un épouvantable caractère, une dose phénoménale d’arrogance et d’orgueil et deux souvenirs de famille qu’il chérissait autant que son fils et plutôt davantage que sa fille.

— Alors, Merope, dit Harry, penché en avant dans son fauteuil, le regard fixé sur Dumbledore, Merope était… Professeur, est-ce que ça signifie qu’elle était… la mère de Voldemort ?

— Exactement, répondit Dumbledore. Et il se trouve que nous avons également aperçu le père de Voldemort. Je me demande si tu l’as remarqué ?

— Le Moldu que Morfin avait attaqué ? L’homme à cheval ?

— Bravo, dit Dumbledore, la mine rayonnante. Oui, il s’agissait bien de Tom Jedusor Senior, le beau Moldu qui passait à cheval devant le cottage des Gaunt et pour qui Merope nourrissait une passion ardente et secrète.

— Et ils ont fini par se marier ? s’étonna Harry, incrédule, incapable d’imaginer deux personnes aussi peu susceptibles de tomber amoureuses l’une de l’autre.

— Je crois que tu oublies une chose, reprit Dumbledore, c’est que Merope était une sorcière. Je ne pense pas que ses pouvoirs magiques soient apparus sous leur meilleur jour lorsqu’elle était terrorisée par son père. Mais quand Marvolo et Morfin ont été solidement enfermés à Azkaban, quand elle s’est retrouvée seule et libre pour la première fois de sa vie, alors, j’en suis sûr, elle a pu donner libre cours à ses propres dons et préparer un plan pour échapper à la vie désespérante qu’elle avait connue pendant dix-huit ans. As-tu une idée du moyen par lequel Merope aurait pu amener Tom Jedusor à oublier son amie moldue et à tomber amoureux d’elle ?

— Le sortilège de l’Imperium ? suggéra Harry. Ou un philtre d’amour ?

— Très bien. Personnellement, je pencherais plutôt pour le philtre. Je suis sûr qu’elle trouvait ça plus romantique et je ne pense pas qu’il ait été très difficile, un jour de grande chaleur, lorsque Jedusor passait seul à cheval, de le convaincre d’accepter un verre d’eau. En tout cas, quelques mois après la scène dont nous venons d’être les témoins, le village de Little Hangleton connaissait un énorme scandale. Je te laisse imaginer les ragots qui ont pu se répandre lorsque le fils du châtelain local s’est enfui avec Merope, la fille du miséreux. Mais le choc éprouvé par les villageois n’était rien comparé à celui que devait subir Marvolo. Il est sorti d’Azkaban en pensant que sa fille attendrait sagement son retour en lui ayant préparé un bon repas bien chaud. Au lieu de cela, il a trouvé une couche de trois centimètres de poussière et un mot d’adieu lui expliquant ce qu’elle avait fait. D’après ce que j’ai pu savoir, à partir de ce jour, il n’a plus jamais mentionné ni son nom ni son existence. Le coup que cet abandon lui avait porté a sans doute contribué à sa mort précoce – ou peut-être n’a-t-il jamais été capable de se nourrir lui-même. Azkaban l’avait considérablement affaibli et il n’a pas vécu assez longtemps pour voir Morfin revenir au cottage.

— Et Merope ? Elle… elle est morte aussi, non ? Voldemort a été élevé dans un orphelinat ?

— En effet, dit Dumbledore. Et là, nous en sommes réduits aux suppositions, bien qu’il ne me semble pas très difficile de deviner ce qui s’est passé. Quelques mois après s’être enfui pour se marier, Tom Jedusor est revenu au manoir familial de Little Hangleton sans sa femme. D’après les rumeurs du voisinage, il affirmait avoir été « dupé » et « escroqué ». Ce qu’il voulait dire, j’en suis certain, c’est qu’il avait été soumis à un enchantement qui était à présent levé, mais j’imagine qu’il n’a pas dû utiliser ces mots-là par peur de passer pour un fou. Quand ils ont entendu son récit, cependant, les villageois ont pensé que Merope avait menti à Tom Jedusor en prétendant attendre un enfant et qu’il l’avait épousée pour cette raison.

— Mais elle a vraiment eu un enfant.

— Oui, mais un an après son mariage. Tom Jedusor l’a quittée alors qu’elle était encore enceinte.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Harry. Pourquoi le philtre d’amour a-t-il cessé de faire de l’effet ?

— Cette fois encore, on ne peut qu’essayer de deviner, répondit Dumbledore, mais je pense que Merope, qui était profondément amoureuse de son mari, ne pouvait supporter l’idée de continuer à le retenir par des moyens magiques. Je crois qu’elle a décidé de cesser de lui administrer le philtre. Peut-être qu’aveuglée par sa passion, elle a fini par se convaincre qu’il était à son tour tombé amoureux d’elle. Peut-être a-t-elle cru aussi qu’il resterait pour le bien du bébé. Si c’est le cas, elle se trompait sur les deux tableaux. Il l’a quittée et ne l’a jamais revue, sans se soucier de savoir ce qu’était devenu son fils.

Au-dehors, le ciel était d’un noir d’encre et les lampes allumées dans le bureau de Dumbledore projetaient une clarté plus vive qu’auparavant.

— Je crois que ça suffira pour ce soir, Harry, dit Dumbledore au bout d’un moment.

— Oui, monsieur, répondit Harry.

Il se leva mais resta sur place.

— Monsieur… est-il vraiment important de savoir tout cela sur le passé de Voldemort ?

— Très important, je crois, assura Dumbledore.

— Est-ce que… c’est lié à la prophétie ?

— C’est entièrement lié à la prophétie.

— Très bien, dit Harry, un peu déconcerté mais rassuré en même temps.

Au moment où il s’apprêtait à partir, une autre question lui vint à l’esprit et il se tourna à nouveau vers Dumbledore.

— Monsieur, est-ce que vous m’autorisez à répéter à Ron et à Hermione tout ce que vous m’avez raconté ?

Dumbledore l’observa un instant puis répondit :

— Oui, je crois que Mr Weasley et Miss Granger ont prouvé qu’ils étaient dignes de confiance. Mais, Harry, tu devras leur demander de ne rien en dire à quiconque d’autre. Il ne serait pas bon de laisser entendre que je sais, ou que je soupçonne, tant de choses sur les secrets de Voldemort.

— Non, monsieur, je n’en parlerai qu’à Ron et à Hermione. Bonne nuit.

Il tourna les talons et avait presque atteint la porte lorsqu’il la vit. Posée sur l’une des petites tables aux pieds effilés qui servaient de support aux fragiles instruments d’argent de Dumbledore, se trouvait une bague constituée d’un affreux anneau d’or serti d’une grosse pierre noire fendue par le milieu.

— Monsieur, dit Harry en la regardant. Cette bague…

— Oui ?

— Vous la portiez la nuit où nous sommes allés voir le professeur Slughorn.

— En effet, approuva Dumbledore.

— Mais est-ce que… est-ce que ce n’est pas celle que Gaunt a montrée à Ogden ?

Dumbledore inclina la tête.

— Si, c’est bien celle-là.

— Comment se fait-il que… Vous l’avez toujours eue ?

— Non, je l’ai acquise très récemment, répondit Dumbledore. En fait, quelques jours seulement avant que je ne vienne te chercher chez ton oncle et ta tante.

— C’est-à-dire à peu près au moment où vous vous êtes blessé à la main ?

— À peu près, oui.

Harry hésita. Dumbledore souriait.

— Monsieur, comment exactement avez-vous…

— Trop tard, Harry, tu entendras cette histoire un autre jour. Bonne nuit.

— Bonne nuit, monsieur.

 

Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé
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